19 juin 2020

« TOUT CE QUI EST EXPÉRIENCÉ EST RÉEL, TOUT CE QUI EST RÉEL EST EXPÉRIENCÉ » William JAMES

Psychologue clinicienne de formation initiale, et assurément non anglophone lorsque Guillaume Poupard a utilisé pour la première fois le terme « expériencer » je me disais que j’avais mal entendu ou encore qu’il avait ripé et qu’il voulait dire expérimenter, dans le sens en quelque sorte de « faire l’expérience de… ». Expérimenter, en langue française renvoie à éprouver en encore essayer, tester, également et éventuellement à la méthode mais aussi au risque de réduire l’expérience à la connaissance de cette expérience et à l’accumulation de connaissances. Puis les sessions de formations se sont enchainées, avec des références à la thérapie solutionniste expérientielle.
Au terme de ma formation de « Maitre praticien en hypnose » à l’institut Way Inside, un verbe résonne, raisonne : « expériencer ».

J’avais pourtant bien lu quelques auteurs Antoine Bioy, Carl Rogers, Milton Erickson, m’étais intéressée à la Gestalt, la psychothérapie humaniste et échangé avec mes collègues … J’en étais restée au niveau de la pensée, l’élaboration, le cérébral.

Ce mot, « expériencier », probablement issu de l’anglais propose l’expérience comme un verbe et le verbe renvoie davantage à un processus qu’à un objet ou un état figé. Dans la Thérapie Solutionniste Expérientielle (TSE), expériencer peut s’apparenter à ressentir ou encore éprouver mais cela reste encore insuffisant. En effet, il y manque alors la notion de vécu avec toutes les sous-modalités sensorielles dans la globalité de la personne, émotions, sensations internes, sentiments et comportements en lien avec l’environnement, les croyances et valeurs de chacun.

Selon ce modèle, lorsque les conditions préalables nécessaires à toute thérapie sont réunies, il ne s’agit pas de proposer au patient de faire une nouvelle expérience et « faire comme si » ou l’expérience d’un quelconque protocole en état hypnotique mais de mobiliser l’entièreté du patient, psyché (conscient et inconscient) et soma, à vivre pleinement dans l’ici et maintenant ce qui est nécessaire, utile et bon au regard de sa demande.

Ces expériences vécues dans la thérapie génèrent du différent certes sur le plan cognitif, mais aussi au niveau opératoire, processuel voir neurologique et sur le registre des perceptions sensorielles pour s’inscrire immanquablement dans un environnement et au regard d’une culture.

Ainsi pour ma part, s’initier aux TSE c’est sortir de la vision causale, du pourquoi, puis dépasser la vision plus systémique du comment ça marche et à quoi ça sert. C’est également renoncer aux connaissances et savoirs empilables que notre action permet au patient d’avoir sur lui ou encore à ceux catapultés sur lui y compris même sous l’effet d’un quelconque protocole d’hypnose pour ouvrir à des possibles à être et à vivre.

Aujourd’hui, ma pratique clinique qui s’inscrit dans le cadre de l’aide contrainte (mesures d’aide éducatives judiciaires) pourtant bien restrictive, « s’expériencie » à son tour différemment dans cette rencontre thérapeute-patient au travers de la synchronisation, du calibrage, du langage utilisé, et d’un rapport de collaboration.

Elle « s’expériencie » dans cet accompagnement où le symptôme se dérobe lentement au profit de l’objectif. Cet objectif est très travaillé avec le patient puis fixé et contractualisé.

Elle « s’expériencie » également dans une mobilisation, un renforcement des ressources et des compétences afin de créer, d’élargir la carte du monde.

Ainsi, elle s’expériencie désormais dans l’importance accordée certes aux pensées, comportement mais aussi aux émotions et surtout aux sensations c’est à dire au perceptions corporelles, somatiques, proprioceptives qui inscrivent tout nouveau vécu.

Enfin, elle «s’expériencie » dans une pratique centrée sur un repérage et un travail sur les mécanismes et phénomènes hypnotiques déjà à l’œuvre chez le patient et qui contribuent pour partie à maintenir le pathos tout en s’appuyant parfois sur ses mêmes mécanismes mais sous l’angle de la ressource.
Pour le thérapeute, il s’agit de faire « expériencier » « ici et maintenant » du différent au patient au regard de son processus et de la conduite de la thérapie, c’est à dire de la stratégie d’intervention.

Ce cursus de formation, m’a conduite à expériencier une nouvelle approche de la relation d’aide, de la thérapie, ma carte du monde s’en est trouvée enrichie, transformée profondément et a modifié mon ADN de thérapeute…

Catherine Fons